Un article spécial de Novus Ordo Watch[1]
(Versions PDF imprimables disponibles également : PARTIE 1 – PARTIE 2)
« Erreurs du Sédévacantisme » de John Salza
par Gregorius
(avec l’autorisation de l’auteur)
Le 15 juillet 2010, The Remnant[2] a publié un article de M. John Salza, J.D. (basé à Milwaukee), dans lequel celui-ci critiquait la position théologique connue sous le nom de sédévacantisme (du latin sede vacante : « le siège étant vide »). Les tenants de cette position soutiennent, en gros, que depuis la mort du Pape Pie XII le 9 octobre 1958, ceux qui prétendent occuper la Chaire papale sont illégitimes et ne sont nullement des vrais papes ; ils prétendent également que l’église ayant eu pour chefs Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul Ier, Jean-Paul II et Benoît XVI n’est pas l’Église Catholique de Notre Seigneur Jésus-Christ, mais une institution moderniste se faisant passer pour telle, son objectif ultime étant d’éradiquer le catholicisme traditionnel et authentique de la face de la terre pour entraîner les âmes en enfer.
M. Salza, ancien franc-maçon, est un catholique conciliaire qui dirige le site www.ScriptureCatholic.com. Il pratique depuis longtemps l’apologétique contre la franc-maçonnerie, le protestantisme et d’autres erreurs, et voici peu de temps, il est devenu en quelque sorte une « étoile montante » jusque dans les milieux pseudo-traditionalistes (c’est-à-dire les gens qui souhaitent pratiquer le catholicisme traditionnel, mais qui épousent la position manifestement absurde et quasi schismatique consistant à faire le grand écart « en « reconnaissant » Benoît XVI comme pape tout en lui « résistant », c’est-à-dire en « rejetant » ses enseignements, ses lois, ses canonisations et toute autre chose ne correspondant pas à leur idée de la Tradition).
Salza s’est attaqué dernièrement au sédévacantisme dans plusieurs publications pseudo-traditionalistes, et j’ai appris que bon nombre de personnes s’étaient malheureusement laissé convaincre par ses « puissants » arguments. Dans le présent essai, je me propose de démontrer combien la cause défendue par Salza contre le sédévacantisme est faible en réalité et de démontrer que ce qui, à première vue, peut apparaître comme de puissants arguments ne correspond qu’à des assertions sans fondement et faciles à écarter dans la mesure où elles reposent sur des recherches plutôt superficielles.
Que le sédévacantisme soit attaqué ouvertement et assez longuement de la sorte est plutôt bon signe – il faut le noter au passage –, car cela montre que de plus en plus de gens reconnaissent le bien-fondé de cette position, ce qui fait justement d’elle une menace pour l’établissement pseudo-traditionaliste, dont le confortable mot d’ordre « c’est notre pape, tapons-lui dessus » est en train de voler en éclats tandis que l’apostasie continue de faire rage à Rome et dans le monde pour le plus grand malheur des âmes. Les gens commencent à se rendre compte que le bon arbre de l’Église catholique est incapable de produire les mauvais fruits de l’Église conciliaire et que la théologie catholique ne permet pas à des clercs de base, ni surtout à des laïcs de s’ériger en baby-sitters théologiques ou en chiens de garde doctrinaux du pape, qui est la plus haute autorité enseignante de l’Église et dont les enseignements exigent – d’eux-mêmes et en eux-mêmes – notre complet assentiment, d’ordinaire sous peine de péché mortel, même s’ils ne sont pas revêtus des conditions de l’infaillibilité. Le « Pape » de la mouvance « on-reconnaît-mais-on-résiste » offre une bien triste imitation de la véritable papauté catholique, car il n’est qu’un pseudo-pasteur qui manque essentiellement de crédibilité et dont les enseignements, les lois et les canonisations sont filtrés à volonté par des clercs et des laïcs se posant en fossoyeurs auto-proclamés de Denzinger.
Il y a donc quelque ironie à ce que des individus épousant cette position insensée accusent les sédévacantistes d’adopter une posture « non catholique », mais la contradiction et l’absurdité sont justement la marque des semi-traditionalistes d’organes tels que The Remnant, The Fatima Crusader[3], Catholic Family News[4], etc.
Le premier essai de M. Salza contre le sédévacantisme, intitulé The Errors of Sedevacantism and Ecclesiastical Law(Les erreurs du sédévacantisme et le droit ecclésiastique), a été publié par The Remnantle 15 juillet 2010. Une copie peut en être consultée sur ce lien, tiré directement du site Internet de Salza : http://www.scripturecatholic.com/feature-articles/Feature_-_The_Errors_of_Sedevacantism.pdf
L’analyse des arguments de M. Salza, exposés d’une manière qui n’a du reste rien de très systématique, révélera avec la plus grande clarté que son article contient de graves erreurs et n’offre aucune réfutation convaincante de la position sédévacantiste. Nous examinerons ci-dessous les arguments en question et nous y répondrons.
(En avril 2011, Salza a publié sur le même sujet, dans Catholic Family News, un nouvel article intitulé « Le Sédévacantisme et le Péché de Présomption ». La réfutation de cet autre essai fera l’objet de la « Partie 2 » de la présente réfutation.)
Étant donné la manière peu systématique et peu claire, voire négligée dont Salza présente la question, il est difficile de discerner avec précision la trame de son argumentation, mais j’espère que ce qui suit résume assez fidèlement les points saillants de son premier essai : 1. le sédévacantisme repose sur l’ignorance du droit de l’Église (le droit canonique) quant aux allégations d’hérésie chez des clercs, notamment des cardinaux ; 2. les catholiques sont tenus de se référer au droit canonique pour résoudre la question du sédévacantisme ; 3. le sédévacantisme correspond à une usurpation d’autorité de la part de ses tenants ; 4. le sédévacantisme ignore le fait que le droit de l’Église permet même à des cardinaux excommuniés d’être validement élus pape ; 5. les sédévacantistes sont des schismatiques.
Telle quelle, chacune de ces assertions est fausse. (Si, pour une raison ou une autre, j’avais mal compris ou mal présenté les arguments de Salza, prière de contacter le rédacteur en chef de Novus Ordo Watch, car j’ai l’intention est de traiter ces arguments avec équité et précision.)
Avant d’entreprendre le commentaire et la réfutation des arguments erronés de Salza, il est bon de signaler que dans son premier essai, l’auteur ne cite pas un seul manuel théologique catholique ou commentaire sur le droit canonique. Au lieu de cela, il prend sur lui d’exposer et d’expliquer ce qu’il présente comme étant la position de l’Église. De la part de quelqu’un qui accuse les sédévacantistes d’usurper une autorité qu’ils n’ont pas, voilà qui est curieux… Certes, M. Salza est un juriste, mais le droit canonique diffère beaucoup du droit séculier, et les principes régissant la jurisprudence américaine ne sont pas les mêmes que ceux qui gouvernent le droit sacré de l’Église catholique. C’est vrai aussi du Code de Droit canonique de 1983 de l’Église moderniste, ainsi que le montre bien ce commentaire fait par un membre de la hiérarchie conciliaire :
« Compte tenu des relations historiques entre droit ecclésiastique et droit civil, il est facile de céder à la tentation de mettre sur un même plan les concepts civils et les concepts ecclésiastiques. Or, les similitudes cachent d’importantes différences entre les uns et les autres. »
(John A. Alesandro, « General Introduction », in The Code of Canon Law: A Text and Commentary, éd. par James A. Coriden et autres. [Mahwah, NJ: Paulist Press, 1985], p. 11)
Il est intéressant d’observer que l’auteur de ce commentaire met spécialement en garde ceux qui tentent de s’occuper de droit ecclésial tout en étant des praticiens du droit séculier :
« La bonne attitude vis-à-vis du droit canonique n’est pas facile à adopter par ceux qui ont un pied dans le monde du droit civil et l’autre dans celui du droit canonique. »
(Alesandro, « General Introduction », p. 14)
Il y a peut-être là une explication des erreurs contenues dans l’article de M. Salza. Cela étant posé, examinons en détail les arguments de l’auteur :
Erreur n° 1 de Salza : l’assertion selon laquelle le sédévacantisme repose sur l’ignorance du droit canonique quant à l’hérésie publique chez les clercs
D’emblée, Salza réduit la question du sédévacantisme à l’allégation selon laquelle tel ou tel candidat à la papauté serait coupable d’hérésie publique, comme si toute cette question tournait exclusivement autour du fait, pour certains individus, d’avoir publiquement failli à la Foi. (Or, le sédévacantisme affirme non seulement que certains candidats à la papauté sont des charlatans, mais aussi que l’Église conciliaire tout entière, en tant qu’institution, est une fausse Église, et non pas le Corps Mystique du Christ.)
Admettant qu’en vertu du droit divin, l’hérésie débouche sur l’auto-exclusion automatique de l’Église catholique, Salza demande : « Comment détermine-t-on si un cardinal était un hérétique avant d’être élu à la papauté ? Comment sait-on s’il y a eu auto-exclusion pour hérésie pré-élective ? » (John Salza, « The Errors of Sedevacantism and Ecclesiastical Law », p. 1)
Pour apporter une réponse pertinente à cette question, Salza devrait établir une distinction entre l’hérésie perçue comme crime contre la loi de l’Église et l’hérésie en tant que péché, c’est-à-dire en tant que crime contre le droit divin. Cette distinction est absolument essentielle, et le fait que, pour une raison ou une autre, il passe à côté explique en partie pourquoi sa conclusion contre le sédévacantisme est erronée. (Il reconnaît bel et bien qu’une différence existe à cet égard, mais pas suffisamment ni assez clairement, ainsi qu’on pourra le constater ci-après.)
Partant du fait que l’hérésie en tant que crime contre la loi de l’Église n’aboutit pas à une excommunication immédiate, même si l’intéressé est à coup sûr un véritable hérétique (c’est-à-dire un baptisé qui, volontairement et en dépit de ce qu’il sait, nie ou met en doute un dogme de l’Église catholique), Salza aurait dû songer qu’il en va différemment de l’hérésie en tant que crime contre la loi divine, car le péché même d’hérésie est ce qui conduit à perdre la qualité de membre de l’Église, d’où il découle que l’appartenance à celle-ci est perdue dès le péché commis, du moins dans la mesure où ce dernier est divulgué et non pas secret. Nous allons examiner, à présent, les enseignements explicites du Pape Pie XII sur la question, puis nous consulterons un théologien de premier plan qui confirmera que nous avons bien compris ce pontife.
« Qu'on n'imagine pas non plus que le Corps de l'Église, ayant l'honneur de porter le nom du Christ, ne se compose, dès le temps de son pèlerinage terrestre, que de membres éminents en sainteté, ou ne comprend que le groupe de ceux qui sont prédestinés par Dieu au bonheur éternel. Il faut admettre, en effet, que l'infinie miséricorde de notre Sauveur ne refuse pas maintenant une place dans son Corps mystique à ceux auxquels il ne la refusa pas autrefois à son banquet (20). Car toute faute, même un péché grave, n'a pas de soi pour résultat – comme le schisme, l'hérésie ou l'apostasie – de séparer l'homme du Corps de l'Église. Toute vie ne disparaît pas de ceux qui, ayant perdu par le péché la charité et la grâce sanctifiante, devenus par conséquent incapables de tout mérite surnaturel, conservent pourtant la foi et l'espérance chrétiennes, et à la lumière de la grâce divine, sous les inspirations intérieures et l'impulsion du Saint-Esprit, sont poussés à une crainte salutaire et excités par Dieu à la prière et au repentir de leurs fautes. »
(Pape Pie XII, Encyclique Mystici Corporis, 29 juin 1943, par. 23 ; c’est nous qui soulignons ; http://www.vatican.net/holy_father/pius_xii/encyclicals/documents/hf_p-xii_enc_29061943_mystici-corporis-christi_fr.html)
On notera que le Pape Pie XII parle ici du péché, un crime contre Dieu, c’est-à-dire contre la loi divine ; il ne parle pas des infractions à la loi de l’Église. Et il précise bien que le péché d’hérésie, « de soi », sépare l’homme « du Corps de l’Église ». C’est pourquoi les hérétiques, du moins les hérétiques publics (qui ne professent pas la vraie Foi), ne sont pas membres de l’Église.
« Pourtant, au sens plein de l'expression, seuls font partie des membres de l'Église ceux qui ont reçu le baptême de régénération et professent la vraie foi, qui, d'autre part, ne se sont pas pour leur malheur séparés de l'ensemble du Corps, ou n'en ont pas été retranchés pour des fautes très graves par l'autorité légitime. »
(Pie XII, Mystici Corporis, par. 22)
On voit comme le Pape établit ici une nette distinction entre les différents catégories de non-membres de l’Église : 1. les infidèles (ceux qui ne sont pas baptisés) ; 2. les hérétiques et les apostats (les baptisés qui ne professent pas la vraie foi) ; 3. les schismatiques (les baptisés qui se sont séparés de l’unité du Corps) ; 4. les excommuniés (ceux exclus par l’autorité ecclésiastique légitime pour les graves fautes qu’ils ont commises).
Telles sont les quatre manières distinctes dont on peut être non-membre de l’Église catholique, et en se penchant sur l’argument de Salza, on voit qu’il est question seulement de la deuxième, celle des hérétiques et des apostats, non de la quatrième, celle des excommuniés.
L’« interprétation » de Pie XII n’est sujette ni à contestation, ni à controverse, ce que confirme d’ailleurs le théologien dogmatique Gerardus van Noort :
« b. Les hérétiques publics (et, a fortiori, les apostats) ne sont pas membres de l’Église. Ils n’en sont pas membres parce qu’ils se séparent de l’unité de la foi catholique et de la profession extérieure de cette foi. Donc, manifestement, ils manquent d’un des trois facteurs – baptême, profession de la même foi, union avec la hiérarchie – signalés par Pie XII comme indispensables pour faire partie de l’Église. Le même pontife a signalé aussi que, contrairement aux autres péchés, l’hérésie, le schisme et l’apostasie séparent automatiquement quelqu’un de l’Église. “Car les péchés – quelles qu’en soient la gravité et l’énormité – ne sont pas tous de nature à séparer automatiquement quelqu’un du Corps de l’Église comme c’est le cas du schisme, de l’hérésie ou de l’apostasie” (MCC 30 ; les italiques sont de nous).
« Par l’expression hérétiques publics, nous entendons ici tous ceux qui, extérieurement, nient une vérité (par exemple la Maternité divine de Marie) ou plusieurs vérités de la foi divine et catholique, […] Il est certain que les hérétiques publics et formels sont séparés de l’Église.
(Mgr G. Van Noort, Dogmatic Theology, Vol. 2: Christ’s Church [Westminster, MD: The Newman Press, 1957], pp. 241 et 242 ; caractères gras ajoutés par nos soins ; italiques dans le texte)
L’enseignement catholique relatif à l’hérésie et à la perte automatique de l’appartenance à l’Église est donc bien clair, et Salza se trompe en affirmant que « les catholiques sont tenus de se référer au droit canonique pour résoudre » la question de savoir si quelqu’un est ou non un hérétique. On notera que Salza ne cite aucune preuve à l’appui de cette affirmation, qu’il se borne à formuler ex nihilo en espérant que chacun l’acceptera. Or, ce qu’il dit là est faux. Bien que le droit canonique puisse nous aider à comprendre la loi divine, il faut absolument éviter de mélanger les deux et de réduire la loi divine au droit canonique. Cela apparaît en toute clarté lorsqu’on se rappelle, par exemple, qu’il n’existe aucune loi ecclésiastique interdisant d’entretenir des pensées impures. Faut-il dès lors en conclure que ce comportement ne constitue pas une infraction à la loi divine ? Faut-il en conclure qu’à moins qu’un procès ecclésiastique n’ait lieu, nul ne peut savoir si quelqu’un a entretenu de telles pensées ? Et qu’en est-il lorsque l’individu en question rend ses pensées manifestes par ses actions ?
Cela nous ramène à la question soulevée par Salza, qui est de savoir comment dire si un cardinal a commis ou non le péché d’hérésie et l’a publiquement manifesté, causant ainsi son expulsion de l’Église. Si Salza peut citer le moindre manuel théologique ou document magistériel pour démontrer que l’hérésie publique se détecte chez les clercs – dont les cardinaux – d’une autre manière que chez quiconque d’autre, qu’il produise cette citation. Mais il ne cite aucun écrit de ce genre et se borne à brandir le Code de Droit canonique de 1917, qui traite justement de l’hérésie comme d’un crime ecclésiastique, et non comme d’un péché causant l’auto-expulsion de l’Église, de sorte que son argument est vicié à la base. Selon lui :
« Tout d’abord, il ressort du Code de 1917 que le Pape est le seul juge des cardinaux. Le Canon 1557, paragraphes 1 et 2, dit en effet ceci : “Il appartient au seul Pontife Romain de juger : […] 2. Les cardinaux ;”. En outre, le canon 1558 est ainsi rédigé : “Dans les causes énumérées au Can. 1556-1557, l'incompétence des autres juges est absolue”. En d’autres termes, seul le Pape – à l’exclusion de quiconque d’autre – peut juger un cardinal sur des points de doctrine ou de discipline. L’autorité du Pape est absolue (est absoluta) à cet égard. Contrairement au Pape, qui n’a pas de juge, les cardinaux en ont bel et bien un, et c’est le Pape seul. C’est pourquoi seul le Pape détermine si un “cardinal […] avant son élévation au Souverain Pontificat, a dévié de la foi Catholique ou est tombé en quelque hérésie” »[5].
(Salza, « The Errors of Sedevacantism and Ecclesiastical Law », p. 1)
L’inconvénient de cet argumentaire, c’est qu’il n’est pas pertinent. Le sédévacantisme ne dépend pas du point de savoir qui doit ou non juger les cardinaux. Aucun sédévacantiste ne prétend porter un jugement canonique sur tel ou tel cardinal, ni exciper du droit de l’Église pour conclure juridiquement à la vacuité du Saint-Siège. Aucun sédévacantiste ne peut faire cela ou n’a besoin de le faire, comme on va le voir ci-après.
En outre, il n’est nullement nécessaire que tel ou tel « pape » conciliaire ait été un hérétique public avant son élévation au pontificat suprême, car il existe d’autres raisons pour lesquelles cette « élection » peut avoir été frappée d’invalidité, par exemple si un autre cardinal a été validement élu en premier, comme ce fut le cas en 1130 du Pape Innocent II, dont la papauté légitime avait été usurpée le jour même par l’antipape Anaclet II ; il fallut ensuite presque huit ans pour que le vrai Pape soit pleinement reconnu et entre physiquement en possession du Trône papal !
Erreur n° 2 de Salza : l’assertion selon laquelle les catholiques sont tenus de se référer au droit canonique pour résoudre la question du sédévacantisme
Si la question de savoir qui peut exercer la fonction papale était simplement ou essentiellement un point de droit ecclésial, John Salza aurait raison d’affirmer que les catholiques doivent se référer au droit canonique pour résoudre le problème des « papes » postérieurs à Pie XII. En fait, le sédévacantisme serait alors rapidement vidé de son sens, car tout argument canonique par essence ne pourra jamais être employé contre un Pape dans la mesure où celui-ci, étant le législateur suprême, se trouve – strictement parlant – au-dessus du droit canonique ; en tout état de cause, comme le Pape n’a aucun supérieur sur terre et ne peut être jugé par quiconque au sens canonique du terme (voir Canon 1556), il serait absolument vain de s’essayer à lui intenter un procès canonique. Aucun Pape ne pourra jamais être soumis à un procès canonique, puisqu’il n’a au-dessus de lui personne qui ait pouvoir de l’y soumettre.
Si nous choisissons, toutefois, d’invoquer l’hérésie personnelle des conciliaires qui prétendent occuper le Trône papal plutôt que l’impossibilité d’assimiler l’Église conciliaire à l’Église catholique, l’argumentaire sédévacantiste contre les faux « papes » de Vatican II ne s’appuie pas essentiellement sur le droit ecclésial. Nous ne disons pas que Benoît n’est pas le Pape parce que le droit ecclésial l’empêche de l’être ; nous disons qu’il n’est pas le Pape parce que la loi divine rend la chose impossible. En effet, il n’est manifestement pas un catholique romain, puisqu’il professe non pas la foi catholique romaine, mais une foi différente ; or, quiconque ne professe pas le catholicisme romain ne peut être membre de l’Église catholique, comme nous l’apprennent les enseignements magistériels du Pape Pie XII, confirmés par le théologien van Noort. (Et il va sans dire que quiconque n’est pas membre de l’Église ne saurait a fortiori en être la tête !)
John Salza est un juriste, et les juristes sone enclins à une pensée juridiste. Il est donc assez compréhensible que Salza se tourner vers le droit canonique pour tenter de faire valoir son opposition au sédévacantisme. Malheureusement pour lui, il a perdu son temps à charger un moulin à vent.
La question capitale, par conséquent, est de savoir si Benoît XVI et ses prédécesseurs de malheureuse mémoire ont professé la foi catholique, comme il est requis pour être membre de l’Église, ou s’ils ont publiquement dévié de cette foi en paroles ou en actions. Et cela, nous devons en informer M. Salza, c’est une question de fait, non de droit. Ont-ils professé la foi catholique, oui ou non ?
Erreur n° 3 de Salza : l’assertion selon laquelle le sédévacantisme correspond à une usurpation d’autorité de la part de ses tenants
Si Salza croit que les sédévacantistes s’arrogent indûment des compétences en « usurpant » l’autorité ecclésiastique légitime, c’est parce qu’il ne distingue pas l’ordre du droit de l’ordre de fait, ce qui est une erreur cruciale.
L’ordre des faits nous dit ce qui est, indépendamment de savoir qui le reconnaît ou le conteste ; l’ordre du droit nous dit ce que la loi tient pour vrai (cela peut être un fait réel ou, par exemple, une simple présomption juridique). Un exemple bien simple servira à illustrer la différence entre l’un et l’autre : si vous voyez votre voisin commettre un meurtre, vous savez alors que c’est un meurtrier (ordre des faits), qu’il soit ou non déclaré coupable par un tribunal (ordre du droit). Aux yeux de la loi, il peut ne pas être un meurtrier, mais du point de vue factuel, il en est un… et vous le savez.
Salza prétend qu’on ne peut rien savoir d’une affaire (le fait) tant qu’on ne connaît pas le jugement légal de l’Église à son sujet (le droit), mais il ne le prouve pas, il se borne à l’affirmer. Quels canonistes ou théologiens, quels manuels de théologie, quels documents de l’Église est-il en mesure de citer pour démontrer que l’on ne peut savoir qu’Untel est hérétique tant que l’Église n’a pas rendu un jugement légal à cet égard ? Ne savait-on pas que Martin Luther niait le dogme de l’Église avec pertinacité avant même que ne prît effet la menace d’excommunication émise contre lui par le Pape Léon X ? Et comment ce pontife eût-il pu émettre une telle menace d’excommunication (ordre du droit) s’il n’était pas déjà manifeste que Luther fût un hérétique (ordre des faits).
L’incapacité où se trouve Salza de distinguer le droit du fait est l’erreur la plus fondamentale de son étude. Il fait de tout une affaire de droit ecclésial, alors que la position sédévacantiste repose sur l’ordre des faits, non sur celui du droit. Même s’il n’existait aucun droit ecclésial, cela ne changerait rien à l’argumentaire sédévacantiste. Si Benoît XVI n’est pas un catholique romain, ce n’est pas parce que cela ressort d’un quelconque procès canonique, c’est parce qu’il manifeste publiquement – par ses paroles et ses actions – qu’en dépit de ce qu’il sait, il n’adhère pas à tous les enseignements dogmatiques du magistère de l’Église antérieur au décès du Pape Pie XII.
De la même façon, Luther était un hérétique dans l’ordre des faits bien avant que le droit de l’Église ne le reconnût coupable du crime ecclésiastique d’hérésie ; en réalité, le jugement de l’Église repose d’une certaine manière sur l’ordre des faits et présuppose ce dernier, car le droit ne peut s’appliquer qu’à ce qui s’est effectivement produit. Ce qui a fait de Luther un hérétique, ce n’était pas un décret d’excommunication ou tout autre document ecclésial le déclarant tel. Ce qui a fait de lui un hérétique, c’était sa mise en doute pertinace du dogme, voire son rejet pur et simple de celui-ci.
De même que Luther a cessé d’être un catholique dès lors qu’il a manifesté publiquement son rejet pertinace du dogme de l’Église, et non lorsque la bulle d’excommunication du Pape Léon X a pris effet, tout clerc conciliaire – que ce soit Roncalli, Montini, Luciani, Wojtyla, Ratzinger ou tout autre ecclésiastique de rang inférieur – a cessé d’être un catholique dès sa négation publique du dogme, indépendamment de tout procès ecclésiastique éventuel. Ce qui nous intéresse, c’est de détecter qui professe ou non la Foi catholique, ce n’est pas de juger formellement des individus au tribunal de l’Église ou de leur imposer des sanctions canoniques dans le cadre de procès ecclésiastiques.
Il importe de faire observer ici que l’ordre des faits nous suffit pour agir. De même que vous savez si votre voisin est un meurtrier parce que vous l’avez vu commettre un meurtre (après quoi vous l’évitez comme la peste), vous pouvez agir en fonction du fait que l’abbé Joseph Ratzinger n’est pas le Pape, parce êtes parfaitement au courant de ses actes publics d’hérésie ou d’apostasie.
Par conséquent, tout ce que dit Salza de l’autorité exclusive que le droit canonique donne au Pape pour juger un cardinal (entre autres) n’a rien à voir avec la question du sédévacantisme, car nous ne prétendons nullement faire un procès canonique au Pape ou à tel cardinal. Nous nous bornons à exercer notre discernement pour dire que tel ou tel clerc ne professe pas la Foi catholique et ne peut donc être membre de l’Église.
Mais pouvons-nous le faire et en avons-nous le droit ? Absolument ! Considérons ce qu’a écrit à ce sujet l’abbé Felix Sarda y Salvany dans son ouvrage Le Libéralisme est un péché (une longue citation de ce livre s’impose pour en faire saisir le contexte) :
« Comment quiconque peut-il dire de sa propre autorité qui ou quoi est libéral, sans se référer pour cela à une décision définitive de l’Église enseignante ? Lorsqu’un bon catholique accuse quelqu’un de libéralisme ou attaque et démasque les sophismes libéraux, l’accusé se réfugie immédiatement dans une contestation de l’autorité de son accusateur : “Qui êtes-vous, je vous prie, pour m’accuser, moi et mon journal, de libéralisme ? Qui vous a fait maître en Israël pour décréter qui est ou n’est pas un bon catholique ? Est-ce de vous qu’il me faut recevoir un brevet de catholicité ?” Tel est le dernier retranchement du catholique teinté [de libéralisme] quand il se retrouve le dos au mur. Comment réagir à une telle opposition ? Sur ce point, la théologie des catholiques libéraux est-elle saine ?
« Pour avoir le droit de taxer une personne ou un écrit de libéralisme, faut-il recourir à un jugement spécial de l’Église sur cette personne ou cet écrit ? En aucun cas. Si ce paradoxe libéral reflétait la réalité, il fournirait aux libéraux une arme très efficace qui leur permettrait d’annuler pratiquement toutes les condamnations que l’Église a prononcées contre le libéralisme.
« L’Église seule possède le magistère doctrinal suprême en fait et en droit, juris et factis ; son autorité souveraine est personnifiée dans le Pape. À lui seul appartient le droit de prononcer la sentence finale, décisive et solennelle. Cela n’exclut cependant pas d’autres jugements moins autorisés, mais d’un grand poids, que l’on ne saurait mépriser et qui doivent même lier la conscience chrétienne. Ce sont :
1. les jugements que les évêques rendent dans leurs diocèses respectifs ;
2. les jugements que les pasteurs rendent dans leurs paroisses respectives ;
3. les jugements des directeurs de consciences ;
4. les jugements des théologiens consultés par les fidèles laïcs.
« Ces jugements ne sont évidemment pas infaillibles, mais ils méritent une grande considération et doivent avoir une force contraignante proportionnée à l’autorité de ceux qui les rendent, dans l’ordre descendant indiqué ci-dessus. Ce n’est pourtant pas contre les jugements de cette nature que les libéraux brandissent la contestation péremptoire que nous voulons examiner particulièrement ici. En la matière, il est un autre facteur qui a droit au respect :
5. le jugement de la simple raison humaine dûment éclairée.
« Oui, la raison humaine occupe – pour parler à la manière des théologiens – une place théologique dans l’ordre de la religion. La foi domine certes la raison, qui doit lui être subordonnée en tout. Mais il est entièrement faux de dire que la raison ne peut rien faire dans l’ordre de la foi, qu’elle n’a aucune fonction à y remplir ; il est faux de dire que la lumière inférieure, placée par Dieu dans la compréhension humaine, ne peut pas briller du tout sous prétexte qu’elle ne brille pas avec la même puissance et la même clarté que la lumière supérieure. Oui, il est permis et même commandé aux fidèles d’indiquer la raison de leur foi, de tirer les conséquences de celle-ci, de lui trouver des applications, d’en tirer des parallèles et des analogies. Ainsi est-ce par l’usage de leur raison que les fidèles ont le droit d’évaluer et de discuter l’orthodoxie de toute nouvelle doctrine qui leur est présentée en comparant cette dernière à une doctrine déjà définie. Si la nouvelle doctrine n’est pas conforme à l’ancienne, ils peuvent la combattre comme étant mauvaise et stigmatiser à juste titre comme étant mauvais le livre ou le journal qui la soutient. Il ne peuvent évidemment la définir ex cathedra, mais il leur est loisible de la tenir pour perverse et de la dénoncer comme telle, de jeter un cri d’alarme, de mettre en garde contre elle et de lui porter le premier coup. Le laïc fidèle a la faculté de faire tout cela, et il l’a d’ailleurs fait à toutes époques sous les applaudissements de l’Église. Ce faisant, il ne s’érige nullement en pasteur du troupeau, et pas même en son humble second ; il se borne à lui servir de chien de garde chargé de donné l’alarme. Opportet allatrare canes : « Il faut que les chiens aboient », a dit fort opportunément un grand évêque espagnol à propos de ces questions. »
(Don Felix Sarda y Salavany, Le Libéralisme est un Péché – les italiques sont de nous.)
On notera que l’abbé Sarda ne dit rien d’un procès ecclésiastique ou de la manière dont il y aurait là une velléité de formuler devant l’Église un jugement à valeur juridique. Non, pas du tout ! Et même au contraire, puisqu’il souligne que les fidèles sont tenus de trouver des applications à leur Foi, d’autant plus que s’ils le font correctement, cela leur permet de « d’évaluer et de discuter l’orthodoxie de toute nouvelle doctrine qui leur est présentée en comparant cette dernière à une doctrine déjà définie ».
Mais l’abbé Sarda n’en a pas fini avec cette question, car il explique ensuite pourquoi les fidèles ont la capacité et le droit d’agir ainsi :
« De quelle utilité seraient les règles de la foi et de la morale si, dans chaque cas particulier, les fidèles ne pouvaient d’eux-mêmes les appliquer directement ou s’ils étaient constamment tenus de consulter le Pape ou le pasteur diocésain ? De même que la règle générale de morale est la loi avec laquelle chacun fait cadrer sa propre conscience […] en donnant des applications particulières à ladite règle (sous réserve de correction si ces applications sont erronées), de même la règle générale de foi, qui est l’autorité infaillible de l’Église, régit et doit régir tout jugement particulier formé en donnant à la foi des applications concrètes, sous réserve – bien entendu – de correction et de rétractation au cas où, ce faisant, on aurait commis une erreur quelconque. On rendrait inutile, absurde et impraticable la règle supérieure de foi en exigeant de l’autorité suprême de l’Église qu’elle procède à son application spécifique et immédiate dans chaque cas et en chaque occasion appelant sa mise en œuvre. »
(Don Sarda, Le Libéralisme est un Péché)
C’est là un point d’une importance extrême. Si tout catholique peut agir ainsi, c’est parce que la doctrine catholique a une signification objective qui ne peut changer et que les règle de la Foi et de la morale sont d’une application pratique et utile aux catholiques dans les cas concrets.
Mais avant que quiconque ne tente d’écarter ce point de vue comme reflétant simplement « l’opinion de l’abbé Sarda », je voudrais signaler que sous le Pape Léon XIII, la Sacrée Congrégation de l’Index du Vatican a écrit sur l’ouvrage de ce prêtre les lignes que voici :
« Après quoi la Sacrée Congrégation a examiné avec minutie [Le Libéralisme est un Péché] et a décidé […] non seulement que rien n’y est contraire à la saine doctrine, mais que son auteur, l’abbé Felix Sarda, mérite d’être vivement félicité pour sa défense de la saine doctrine, qu’il formule avec fermeté, ordre et lucidité, sans la moindre offense personnelle à l’encontre de quiconque. »
(Frère Jerome Secheri, O.P., Secrétaire de la Sacrée Congrégation de l’Index, dans la préface de l’édition anglaise du livre de Sarda).
Nous sommes donc parfaitement en droit de nous appuyer sur cet ouvrage des plus orthodoxe pour réfuter les erreurs de John Salza. En fait, l’ouvrage de l’abbé Sarda est l’un des meilleurs livres à lire contre le modernisme et le libéralisme, et l’Église conciliaire trouve en lui sa condamnation assurée.
Pour nous résumer : les sédévacantistes n’usurpent aucune autorité ecclésiastique en parvenant à la conclusion que Benoît XVI n’est pas le Pape, parce qu’ils n’ont pas abouti à cette conclusion par des jugements « juridiques » putatifs, ce à quoi aucun d’eux n’est habilité, mais parce que tout catholique romain peut établir en fait (non en droit) que Benoît XVI n’adhère pas à tous les enseignements dogmatiques du magistère de l’Église antérieur à 1958, ce dont témoignent à l’évidence les paroles et les actions de l’intéressé, tant avant qu’après sa prétendue « élection à la papauté » du 19 avril 2005.
Erreur n° 4 de Salza : l’assertion selon laquelle le sédévacantisme ignore le fait que le droit de l’Église permet même à des cardinaux excommuniés d’être validement élus pape
John Salza a jugé bon – et c’est assez surprenant – de répéter un argument anti-sédévacantiste depuis longtemps réfuté, celui tiré de la constitution du Pape Pie XII Vacantis Apostolicae Sedis, promulguée en 1945, concernant l’élection d’un pape. Il donne de ce texte la citation suivante :
« Aucun cardinal ne peut, sous prétexte ou au motif d’une quelconque excommunication, suspension ou interdiction ou de tout autre empêchement ecclésiastique, être exclu de l’élection active et passive au pontificat suprême. »
(Pape Pie XII, Constitution apostolique Vacantis Apostolicae Sedis, 1945 ; citée en page 3 de l’ouvrage de Salza.)
Ce qui, à première vue, peut apparaître comme un coup très dur porté au sédévacantisme est en réalité facile à réfuter en établissant les distinctions qui s’imposent ; or, M. Salza s’abstient de le faire. Ce que le Pape accomplit ici, c’est la levée de toutes les censures ecclésiastiques, y compris celle de l’excommunication, sous le coup de laquelle un cardinal pourrait se trouver au moment du conclave et qui l’empêcherait d’élire licitement le Pape ainsi que d’être lui-même licitement élu. En d’autres termes, le Pape dit que nul ne peut empêcher de prendre part au conclave un cardinal faisant l’objet d’une peine ecclésiastique quelconque. On notera que l’accent est mis sur le mot « ecclésiastique ». Manifestement, le Pape ne peut lever que des peines ecclésiastiques, non des peines divines, car il n’a pas le pouvoir de réintégrer dans le Corps Mystique du Christ ceux qui en ont été séparés par la loi divine. (Le même Pie XII fait allusion à cela dans son allocution de 1951 à l’adresse des sages-femmes, où il mentionne « la loi naturelle, dont l’Église elle-même […] n’a pas le pouvoir de dispenser » [Pape Pie XII, « Allocution aux sages-femmes sur la nature de leur profession », 29 octobre 1951 ; http://www.fsspx.org/fr/la-foi-enseignement/mariage/les-lois-des-rapports-conjugaux-allocution-de-ss-pie-xii-aux-sages-femmes-automaticaly-imported/]. Bien entendu, si l’Église n’a pas le pouvoir de dispenser de la loi naturelle, il lui est d’autant moins loisible de dispenser de la loi divine.)
Ce que cela signifie tout bonnement, c’est que les hérétiques, les schismatiques et les apostats sont évidemment exclus d’un conclave, non parce que l’Église les a excommuniés, mais parce que leur hérésie, leur schisme ou leur apostasie les empêche d’être membres de l’Église. L’hérétique est exclu de l’élection valide du Pape en raison, non de l’excommunication ecclésiastique qui le frappe, mais de son hérésie, c’est-à-dire de sa non-catholicité. On notera que dans son encyclique précitée, Pie XII parle simplement de tout […] empêchement ecclésiastique ». Néanmoins, le fait d’être un non-catholique ne constitue pas en soi un empêchement ecclésiastique ; il s’agit avant toute chose d’un empêchement divin et non pas, cela va de soi, d’un empêchement que le Pape a pouvoir de lever. Au cas hypothétique où le Pape aurait voulu accomplir l’impensable et inclure même les hérétiques parmi les électeurs licites ou les personnes licitement éligibles aux fins d’une élection au Pontificat suprême, il l’aurait précisé en écrivant : « Aucun cardinal ne peut, sous prétexte ou au motif de quelque apostasie, hérésie, schisme, excommunication, suspension ou interdiction ou de tout autre empêchement divin ou ecclésiastique, être exclu de l’élection active et passive au pontificat suprême ». Mais une telle assertion aurait été manifestement absurde, d’autant plus qu’un « cardinal hérétique » n’est pas plus cardinal qu’un « Pape hérétique » n’est Pape.
Nous tenons à rappeler ici, comme précédemment, ce que Pie XII a enseigné en termes explicites au sujet de l’apostasie, de l’hérésie et du schisme dans son encyclique Mystici Corporis : « Car toute faute, même un péché grave, n’a pas de soi pour résultat – comme le schisme, l'hérésie ou l'apostasie – de séparer l'homme du Corps de l'Église ». Ces trois péchés sont de nature à exclure un homme de l’Église de par leur propre nature (car ils sont en eux-mêmes incompatibles avec la catholicité), et non du fait d’une quelconque peine ecclésiastique telle que l’excommunication. Donc, si un apostat n’est pas un catholique, ce n’est pas parce qu’il a été excommunié par un évêque ou un Pape, c’est parce que le péché d’apostasie est en soi incompatible avec le fait d’être un catholique romain, de même qu’il est impossible à un triangle de ne comporter aucun angle.
Par conséquent, le fait que Pie XII a levé toutes les excommunications frappant des cardinaux aux fins d’organisation d’un conclave licite n’a rien à voir avec la question du sédévacantisme. Salza ne fait que démontrer ici son ignorance sur ce point, due à ce qu’il ne voit pas que Pie XII parle des catholiques frappés d’excommunication, non des individus qui ne sont pas catholiques. Comme cela peut sembler confus à certains, je voudrais essayer de donner un exemple de la manière dont cette encyclique papale s’appliquerait en l’espèce. Imaginons un cardinal qui viole directement le secret de la confession. Ce faisant, il se met sous le coup d’une excommunication automatique dont le Pape seul peut l’absoudre (voir Canon 2369 § 1). Imaginons aussi qu’avant que ce cardinal puisse se réconcilier avec le Saint-Siège et obtenir la levée de son excommunication, le Pape meure. Que se passe-t-il alors ? Est-il autorisé à participer au conclave et peut-il même être validement et licitement élu Pape lui-même, y compris sous le coup de son excommunication ? À cette question, Pie XII a répondu « oui ». C’est de cela seulement que nous parlons. Or, cela n’a rien à avoir avec l’idée ridicule que quelqu’un peut devenir Pape alors même qu’il ne cesse de nier la religion catholique par ses paroles comme par ses actions.
On trouvera d’autres indications concernant cette controverse centrée sur la constitution apostolique de Pie XII Vacantis Apostolicae Sedisdans l’article suivant (rédigé en anglais) :
http://www.traditionalmass.org/blog/2007/06/25/can-an-excommunicated-cardinal-be-elected-pope
Erreur n° 5 de Salza : l’assertion selon laquelle les sédévacantistes sont des schismatiques
À la page 5 de sa critique, Salza écrit :
« En cessant de se soumettre au Saint-Père et en se séparant des fidèles qui sont en communion avec lui, les sédévacantistes font acte de schisme et se trouvent donc automatiquement excommuniés de l’Église en vertu de la loi divine comme de la loi ecclésiastique. »
(canon 1325, paragraphe 2)
L’argument du « schisme » est l’un des plus curieux que les semi-partisans de Benoît XVI lancent aux sédévacantistes. Il est curieux pour deux raisons. En premier lieu, ces gens n’ont pas remarqué que depuis Vatican II, leur Église ne ressent aucun malaise vis-à-vis du schisme ou des schismatiques, puisqu’elle les accueille, dialogue avec eux, célèbre des actions liturgiques en commun avec eux, dit qu’ils ont un droit positif d’exister, prétend qu’ils ont été divinement désignés pour être témoins de « la Foi » et proclame que l’Esprit Saint se sert d’eux comme d’un moyen de salut. En second lieu, d’un point de vue subjectif, le vrai schismatique est celui qui croit que Benoît XVI est le Pape, tout en refusant néanmoins de se soumettre à lui, réalité qui convient parfaitement à la foule semi-traditionaliste ayant pour mot d’ordre « on-reconnaît-mais-on-résiste », mais en aucun cas aux sédévacantistes.
Le sédévacantiste répond avec calme à l’accusation de schisme. Tout d’abord, il admet qu’il refuse en effet la communion avec Benoît XVI et la soumission à celui-ci, ce qui vaut également pour tous les faux papes ayant succédé à Pie XII. En fait, peu de choses le consolent davantage que de savoir et de pouvoir dire en public qu’il n’a rien de commun avec la religion de Benoît XVI. Ajoutons cependant avec force que s’il est dans ce cas, c’est uniquement parce qu’il ne croit pas que Benoît XVI soit le Pape de l’Église catholique ou en fasse même seulement partie. Par voie de conséquence – et par voie de conséquence uniquement –, il refuse de se soumettre à lui et d’être en communion avec lui. Cela ferait de lui objectivement un schismatique si Benoît XVI était bien le Pape, mais en l’espèce, il ne commet aucun péché de schisme, donc ne se sépare aucunement du Corps Mystique du Christ, puisque l’homme auquel il refuse de se soumettre n’est pas reconnu comme étant le Pape, c’est-à-dire le Pontife suprême légitime ayant le droit d’exiger cette soumission et l’autorité nécessaire à cette fin.
Un commentaire autorisé du Code de droit canonique clarifie la question :
« Enfin, on ne peut considérer comme schismatiques ceux qui refuseraient d’obéir au Pontife romain parce qu’ils jugeraient sa personne suspecte ou – du fait de nombreuses rumeurs – élue de manière douteuse (ce qui s’est produit après l’élection d’Urbain VI), ou encore ceux qui résisteraient à son autorité civile, non à son autorité de pasteur de l’Église. »
(Franz Xaver Wernz, Ius Canonicum, édité par Pietro Vidal [Rome : Université Grégorienne, 1937], vol. 7, p. 398 ; traducteur non indiqué ; cité sur le site anglophone http://sedevacantist.com/isitcatholic.html)
Le véritable schisme, le schisme authentique consiste en un refus de se soumettre à l’homme reconnu comme étant le Pape légitime – du moins sous l’angle subjectif, pour ce qui est de la question du péché (et c’est bien là le principal, car le péché est ce qui nous empêche de parvenir à la béatitude éternelle). En fait, le père Ignatius Szal souligne qu’un ingrédient essentiel du schisme véritable et authentique est que le schismatique, malgré sa désobéissance, « doit reconnaître le Pontife romain comme étant le véritable pasteur de l’Église et professer comme article de foi que l’obéissance est due au Pontife romain » (Rév. Ignatius Szal, The Communication of Catholics with Schismatics [Washington, DC : The Catholic University of America Press, 1948, p. 2]).
Force est de poser ici à M. Salza et à ceux de sa famille de pensée la question suivante : Qui est le véritable schismatique en la matière (si ce n’est que du point de vue subjectif) ?
Après tout, la simple réalité des choses montre qu’il est impossible ne fût-ce qu’à des semi-traditionalistes comme ceux de The Remnant de se soumettre véritablement à Benoît XVI. Ce seul fait fournit un puissant argument pour soutenir que Ratzinger n’est pas le Pape, car on ne peut se soumettre à lui sans nier la Foi ! (Chaque fois qu’elle tempête contre le sédévacantisme, la foule des « on-reconnaît-mais-on-résiste ignore fort opportunément un fait aussi curieux, qui offre une preuve supplémentaire que l’abbé Ratzinger ne peut prétendre être Pape.)
Quelques protestations insincères que l’on puisse entendre par ailleurs, les tenants de la position « on-reconnaît-mais-on-résiste » ne se soumettent pas vraiment – nous le savons tous – à l’homme qu’ils insistent pour présenter comme étant le Pape. En réalité, leur soumission dépend du point de savoir si ce qu’il enseigne, ordonne, permet, promulgue ou décrète est conforme ou non à leur compréhension des enseignements, de la discipline, etc. d’avant Vatican II, que la date retenue par eux soit 1958, 1962 ou toute autre année fixée arbitrairement par leurs soins. (On ne sait pas au juste qui détermine ce qui est traditionnel ou non, mais des hommes tels que Mgr Bernard Fellay, Mgr Richard Williamson, le père Nicholas Gruner[6], le père Paul Kramer[7], M. Michael Matt[8] et M. Christopher Ferrara[9] sont de très populaires candidats pour l’exercice de cette fonction.) C’est pourquoi nous appelons ces gens des « pseudo-traditionalistes », des « semi-traditionalistes » ou des « néo-traditionalistes ». Tout bien considéré, c’est une idée fort curieuse et à coup sûr inédite de restreindre la force des enseignements papaux, de la discipline universelle, des béatifications, des canonisations, des décrets conciliaires, etc. à certains papes et conciles antérieurs à telle ou telle date, le reste étant mis en quelque sorte « à l’encan » jusqu’à ce que – suppose-t-on – l’un ou l’autre de ces « babysitters papaux » décide pour le reste des fidèles qu’il est à nouveau sûr d’écouter le Pape et le Vatican, quel que soit celui qui occupera dès lors cette position d’autorité.
Telle est l’amère réalité à laquelle doivent pourtant faire face nos amis « on-reconnaît-mais-on-résiste ». Ils savent tous qu’ils ne se soumettent pas à Benoît XVI comme ils le feraient à saint Pie X, et pourtant, conformément au premier Concile du Vatican, le Pape en tant que tel (c’est-à-dire qui que soit le Pape) possède une primauté de juridiction exigeant la ferme soumission de tout catholique, indépendamment de ses éventuelles préférences :
« Si donc quelqu'un dit que le Pontife romain n'a qu'une charge d'inspection ou de direction et non un pouvoir plénier et souverain de juridiction sur toute l'Église, non seulement en ce qui touche à la foi et aux mœurs, mais encore en ce qui touche à la discipline et au gouvernement de l'Église répandue dans le monde entier, ou qu'il n'a qu'une part plus importante et non la plénitude totale de ce pouvoir suprême ; ou que son pouvoir n'est pas ordinaire ni immédiat sur toutes et chacune des églises comme sur tous et chacun des pasteurs et des fidèles, qu'il soit anathème. »
(Concile du Vatican, Session IV, Constitution dogmatique Pastor Aeternussur l’Église du Christ, Chapitre 3, 18 juillet 1870 ; Denzinger 1831).
Le théologien Van Noort donne de cet enseignement dogmatique l’explication suivante :
« Assertion 1. Le pouvoir du pontife suprême est une authentique juridiction. C’est une véritable autorité contraignante qui impose – de par elle-même – le devoir non simplement de révérence, mais aussi d’obéissance au sens strict du terme. Dans ces conditions, la primauté est à cent lieues de la supériorité qu’un simple président exerce sur ses associés ou confrères. Un tel individu n’est en effet qu’un primus inter pares, et il n’a de primauté sur les autres que dans la mesure où il veille sur l’ordre à observer dans les débats, les votes, etc. La primauté du pape ne correspond pas non plus à une simple fonction d’orientation, car la notion d’orientation suggère celle de conseil et de persuasion plutôt que l’exercice d’une véritable autorité.
(Van Noort, Christ’s Church, p. 280 ; italiques dans le texte.)
Ce que l’on peut comprendre ici, c’est que si Benoît XVI était Pape, il aurait une autorité juridictionnelle sur tous les fidèles, qui, de leur côté, seraient tenus à une stricte obéissance envers lui. En d’autres termes, il est inepte de suspendre une photographie du « Pape » dans la sacristie et de réciter d’aimables prières pour lui, mais de l’ignorer à tous autres moments (sans même parler des exemptions que l’on prétend instituer aux enseignements qu’il dispense dans ses encycliques, à ses béatifications, à ses canonisations, à ses rites liturgies, à ses disciplines, etc.)
Van Noort poursuit en exposant le dogme (!) de la primauté papale :
« Assertion 2. La juridiction du pontife suprême est universelle. Elle l’est au regard du lieu et des affaires traitées. Elle est universelle vis-à-vis du lieu, car elle s’étend à toutes les églises répandues dans le monde entier. Elle l’est aussi vis-à-vis des affaires traitées, car elle s’étend non seulement aux questions de foi et de morale (le magistère ecclésiastique), mais aussi à la discipline et au gouvernement (direction, imperium) de l’Église tout entière. Elle l’est, enfin, vis-à-vis des personnes, car aucun chrétien n’est autorisé à s’y soustraire.
(Van Noort, Christ’s Church, p. 280 ; italiques dans le texte.)
Nota bene : Le Pape a l’autorité et le droit de gouverner l’Église tout entière (et les fidèles ont donc le devoir correspondant de lui obéir et de se soumettre à lui). Aucun catholique n’en est exempt, pas même les évêques de Suisse ou les avocats des États-Unis, ainsi que le premier Concile du Vatican le proclame très clairement : « Le jugement du Siège apostolique, auquel aucune autorité n'est supérieure, ne doit être remis en question par personne, et personne n'a le droit de juger ses décisions. » (Concile du Vatican, Pastor Aeternus ; Denzinger 1830). Il est permis de présumer que la bonne vieille excuse à tout faire de la « désorientation diabolique », toujours si commode, semblerait elle-même insuffisante pour justifier le refus de soumission. Comment les tenants du « on-reconnaît-mais-on-résiste » pourraient-ils faire cadrer leur habituel catholicisme de bistrot, qui consiste à « prendre au Pape ce qui est bon tout en rejetant ce qui est mauvais », avec ces paroles si tranchées de la plus haute autorité de l’Église ?
Il sera utile également de considérer que « le pape n’est pas tenu par des coutumes ou des lois ecclésiastiques établies de quelque manière que ce soit », bien qu’il n’ait évidemment aucun droit d’abuser de son pouvoir et de « tout chambouler dans l’Église à sa fantaisie » (Van Noort, pp. 282 et 283), et aucun sédévacantiste ne prétendrait du reste une telle chose, car « la loi divine soumet strictement le Pape aux lois de la justice, de l’équité et de la prudence » (Van Noort, p. 283).
Mais ce que les semi-traditionalistes tendent à minimiser comme étant les « mauvais commandements » d’un Pape qui abuserait de ses pouvoirs et auquel ils se borneraient donc à « résister », c’est en réalité quelque chose de bien différent. Car le traditionaliste de type « on-reconnaît-mais-on-résiste » ne se borne pas à résister à des mauvais commandements (par exemple, « Va voler ton voisin pour que je puisse m’offrir une autre tiare »), mais rejette toute soumission à l’exercice licite de l’autorité papale putative, à savoir l’enseignement dispensé aux fidèles dans les encycliques, les discours, les sermons et autres écrits, la législation instituée pour l’Église universelle dans le Code de droit canonique, la promulgation de rites et de lois liturgiques à l’attention de tous les fidèles, la proposition à l’Église entière de nouveaux modèles de vie chrétienne par le biais des béatifications et canonisations, etc.
La vérité, c’est qu’en pratique du moins, les milieux néo-traditionalistes ne concèdent à Benoît XVI (ou à tout autre « pape » d’après 1958) qu’une primauté d’honneur, non de juridiction, dans la mesure où ils sont prêts à lui refuser leur soumission chaque fois qu’ils se trouvent être en désaccord avec lui sur un point où il leur semble en rupture avec ce qui se faisait auparavant. (Encore cette fichue « désorientation diabolique » ! Apparemment, l’expression en question – employée par une religieuse, Sœur Lucie – prime jusqu’à l’autorité « papale » aux yeux des néo-traditionalistes…)
En outre, s’agissant de telles questions, les néo-traditionalistes ne peuvent évidemment qu’être en désaccord entre eux. Par exemple, doivent-ils, oui ou non, accepter la nouvelle prière du Vendredi Saint de Benoît XVI pour la conversion des Juifs ? Cette mesure, dans laquelle un auteur « néo-tradi » avait salué aussitôt et avec enthousiasme un « coup de maître du Pape » fut dénoncée par son associé comme constituant une altération de la tradition qui risquant fort de susciter divisions et malentendus. Sur ce point précis, le second s’est d’ailleurs montré beaucoup plus prudent et clairvoyant que le premier, car deux ans après, Benoît XVI a révélé dans son livre Lumière du Monde (pp. 106 et 107) que s’il avait modifié la prière du Vendredi Saint, c’était – entre autres raisons – parce qu’il la jugeait « offensante » pour les Juifs, ce qui l’avait conduit à élaborer une nouvelle prière afin de substituer à l’idée traditionnelle de conversion au sens missionnaire du terme une sorte de « prière adressée à Dieu pour qu’Il rapproche le moment de l’histoire où nous pourrons tous être unis ». Ainsi donc a parlé le grand « Restaurateur de la Tradition » ! Bien entendu, seuls les naïfs et ceux qui se laissent aisément illusionner ont été surpris de lire un tel aveu sous sa plume. Dans quels inextricables dilemmes ces gens persistent à se débattre dès qu’ils commencent à vouloir résister !
La question qui se pose ici est de savoir si, dans ces conditions, le semi-traditionaliste ne devrait pas se juger coupable de schisme ou d’hérésie, voire des deux à la fois. Car s’il considère le refus de soumission comme une question d’opinion, c’est-à-dire s’il croit ne pas devoir se soumettre au Pape, il se rend coupable d’hérésie dans la mesure où il contrevient au dogme défini par Vatican I ; en revanche, s’il reconnaît devoir se soumettre au Pape en théorie alors qu’il refuse de le faire en pratique, il se rend coupable de schisme.
Tout en sachant pertinemment, bien entendu, que la grande majorité des tenants de la position « on-reconnaît-mais-on-résiste » sont de bonnes et pieuses personnes qui ne désirent qu’une chose, être des catholiques romains fidèles, nous n’en jugeons pas moins nécessaire de leur signaler que cette position qu’ils ont adoptée est insoutenable au regard des enseignements catholiques. Seule la position sédévacantiste peut les délivrer de cette idée contradictoire selon laquelle des autorités autoproclamées et extérieures au Vatican peuvent, d’une manière ou d’une autre, s’ériger en juges définitifs de ce que l’on peut ou ne peut pas accepter de Rome.
À la lecture de ce qui précède, on voit bien que les enseignements catholiques ne permettent pas de croire que Benoît XVI soit le Pape. Il n’est pas le Pape parce qu’il ne peut pas l’être.
On ne peut que trouver absolument sidérante la chutzpah[10] avec laquelle les semi-traditionalistes accusent les sédévacantistes d’être schismatiques et d’usurper l’autorité ecclésiastique, alors qu’eux-mêmes formulent un jugement sur tout ce qui vient du Vatican, qu’ils considèrent pourtant comme détenteur de l’autorité légitime.
Après avoir identifié les principales erreurs de l’article de John Salza intitulé « Les erreurs du sédévacantisme et le droit ecclésiastique », il faut dire quelques mots des autres erreurs et confusions commises par l’auteur.
Tout d’abord, Salza soutient que le cardinal Angelo Roncalli, qui prétendit être le Pape Jean XXIII de 1958 à 1963, n’a jamais fait l’objet d’une enquête pour hérésie sur l’ordre du Pape Pie XII. Bien qu’une telle enquête n’ait peut-être pas eu lieu durant le pontificat de Pie XII, il n’en est pas moins facile de démontrer que l’Église a bel et bien enquêté sur Roncalli. En fait, on sait pertinemment qu’après son « élection », Roncalli s’est rendu au Saint-Office (que Pie XII avait dirigé jusqu’à sa mort) pour demander à voir le dossier constitué sur lui. Ce dossier portait la mention « SUSPECT DE MODERNISME » (voir Paul Johnson, Pope John XXIII [Boston, MA: Little, Brown and Company, 1974], p. 37). Manifestement, quelqu’un a enquêté sur lui au Saint-Office. Que Roncalli ait été ou non coupable d’hérésie publique et notoire, et que cela ait ou non quelque incidence sur le sédévacantisme (rappelons qu’exciper d’une hérésie « papale » publique ne constitue qu’un seul argument à invoquer en faveur du sédévacantisme), il en sera question dans la seconde partie du présent essai. Quoi qu’il en soit, il ne fait aucun doute que la carrière de Roncalli en tant que « Pape » n’a fait que confirmer le soupçon du Saint-Office.
Examinons ensuite la curieuse assertion de Salza selon laquelle l’application de la Constitution apostolique Cum Ex Apostolatus(1559) – par laquelle le Pape Paul IV a décrété que toute élection papale putative était nulle et non avenue s’il se révélait ensuite que l’élu était un hérétique avant son élection – est suspendue à l’issue d’un procès ecclésiastique devant établir si le cardinal ainsi élu était un hérétique ou non. Salza pose la question suivante : « Comment détermine-t-on si un cardinal était un hérétique avant son élection à la papauté ? » (Salza, « Erreurs… », p. 1), et il y répond – en tentant de s’appuyer sur le droit canonique – que « seul le Pape le détermine ».
On a vu ci-dessus que Salza confond l’ordre du droit avec celui des faits, et l’on ne réitérera donc pas les arguments déjà exposés à ce sujet. Il est cependant une autre considération essentielle à côté de laquelle Salza est sans doute passé : son argument n’a pas le moindre sens, car la bulle du Pape Paul IV Cum Ex Apostolatusa pour unique objet d’empêcher un hérétique de pouvoir prétendre être Pape. Dans ces conditions, comment Salza croit-il que le « Pape » va juger le « cardinal » hérétique si ce même « cardinal » n’est autre que l’homme qui prétend accéder au trône papal ? Va-t-il nous falloir attendre que l’hérétique achève son « règne » bidon et qu’un Pape légitime déclare que l’homme que tout le monde croyait Pape avant lui ne l’était pas vraiment ? Se peut-il que Salza croie fournir là une « réponse » sérieuse ? Ne nous faut-il pas craindre, s’il a raison, qu’un futur Pontife vienne nous dire un jour que Léon XII, Grégoire V, Pie III ou Damase II – par exemple – n’étaient pas vraiment Papes ? Qu’en est-il également de Grégoire XVI, de Léon XIII ou de Pie XII ? Pouvons-nous être certains que quiconque ait jamais été Pape à un moment ou à un autre de l’histoire si le statut d’un homme prétendant être Pape est toujours sujet à la révision ultérieure d’un autre Pape, lequel pourra lui-même être démasqué ensuite comme charlatan ?
Non, décidément, la bulle du Pape Paul IV n’aurait aucun sens si John Salza avait raison ; en fait, Paul IV a bien spécifié qu’au cas où le faux « Pape » en question essaierait de prolonger son « règne », les fidèles pourraient s’adresser à l’autorité séculière afin de remédier à la situation : « s'ils [les fidèles] veulent continuer à gouverner et à administrer, pour une plus grande confusion de ces hommes ainsi promus et élevés, ils pourront faire appel contre eux au bras séculier. » (Pape Paul IV, Bulle Cum Ex Apostolatus, paragraphe 7 ;
http://www.virgo-maria.org/references/references_html/Paul_IV/PAUL_IV_cum_ex_apostolatus.htm).
On voit toute l’ineptie de l’argument de Salza ; il serait en effet impossible à un faux pape de diligenter sur lui-même une enquête pour hérésie, puis de s’auto-destituer, de même qu’il est inenvisageable qu’un vrai Pape venant après lui ait à enquêter sur un cardinal soupçonné d’hérésie des années auparavant, après qu’une papauté invalide a déjà causé tous ses ravages au détriment des fidèles, et en contradiction avec le décret du Pape Paul IV selon lequel les sujets putatifs d’un « Pape » hérétique peuvent recourir au bras séculier pour obtenir la destitution de l’intéressé, ce qui serait une absurdité si Paul IV avait voulu que seul un futur Pape légitime pût dénoncer comme charlatan quelqu’un qui prétend actuellement être Pape. Si un tel scénario était plausible, il faudrait alors craindre qu’un autre Pape encore ne vienne un jour démasquer comme charlatan son prédécesseur ayant dénoncé au départ l’imposture du véritable « charlatan papal » ! Cela ne manquerait pas de provoquer le plus effroyable chaos dans l’Église.
À y bien réfléchir, on voit donc que la position de John Salza aboutit à toutes sortes d’absurdités et de scénarios ridicules, ce qui révèle que contrairement à ce qu’il se plaît à penser, l’auteur ne nous expose pas la vraie loi ni les vrais enseignements de l’Église, mais nous concocte un salmigondis d’erreurs et de semi-vérités, dans une tentative désespérée de soutenir la prétention de la secte de Vatican II à être l’Église catholique de Notre Seigneur Jésus-Christ. On en vient du reste à se demander si Salza n’invente pas ses théories au fur et à mesure. En tout cas, cela y ressemble fort.
Ensuite, lorsque Salza prétend que « l’Église catholique a tout intérêt à savoir si nous avons un Pape valide » (p. 3) – d’où la nécessité, selon lui, qu’une sentence déclaratoire soit prononcée contre tout cardinal hérétique élu « Pape » ultérieurement –, il sombre dans les mêmes erreurs que celles dénoncées ci-dessus. Il ne s’est sans doute pas avisé, comme l’a signalé un autre sédévacantiste, que c’est précisément l’inutilité d’une sentence déclaratoire qui sert au mieux les intérêts de l’Église, car elle empêche qu’aucun charlatan puisse se cacher derrière l’absence d’une telle déclaration. Par ailleurs, lorsqu’on hésite à dire qui est investi de l’autorité nécessaire pour rendre une sentence déclaratoire, parce qu’on ne sait pas au juste qui détient véritablement la papauté, une déclaration de ce genre ne serait, de toutes façons, utile en rien. Il reste que comme ladite déclaration ne pourrait venir qu’après l’élection ultérieure d’un Pape authentique (par des cardinaux qu’aura nommés l’imposteur ?), dans la mesure où nul au sein de l’Église n’a autorité pour juger le Pape, ce charlatan aurait tout loisir, jusqu’à sa mort, de semer le chaos dans l’Église sans être dérangé le moins du monde ; voilà ce à quoi, selon Salza, l’Église aurait « tout intérêt ».
Mais notre avocat du Wisconsin fait pire encore. Après avoir concédé qu’en vertu de la loi divine comme de la bulle Cum Ex Apostolatus, un cardinal hérétique s’auto-exclut de l’Église sans qu’il soit besoin pour cela d’une déclaration (« Le décret du Pape Paul IV sur l’invalidité de l’élection papale d’un hérétique réaffirme la Loi divine selon laquelle l’hérésie formelle provoque une auto-exclusion de l’Église sans qu’il soit besoin de censure ecclésiastique » [p. 1]), il entreprend de soutenir qu’une sentence déclaratoire n’en est pas moins nécessaire pour savoir que tel individu prétendant être Pape ne peut l’être vraiment, faute de quoi « l’Église ne saurait jamais avec certitude si la Loi divine a été violée, ce qui compromettrait sa mission et son existence mêmes » (p. 3). La situation est donc apparemment la suivante : l’hérésie formelle empêche un cardinal d’être validement élu Pape, mais à moins que l’Église ne le reconnaisse officiellement comme tel, nous ne pouvons pas savoir s’il l’est ou non. Qu’est-ce que cela signifie, alors, quant au statut de celui qui prétend être Pape ? Est-il Pape ou ne l’est-il pas ? Si l’on suit le raisonnement de Salza, l’homme en question n’est pas vraiment Pape, mais comme l’Église n’a pas reconnu ce fait (l’Église peut-elle être aveugle ?), nous pensons qu’il est Pape, et par conséquent, pour nous, il l’est. En d’autres termes, toujours selon Salza, il serait non-Pape parce qu’il a violé la loi divine en étant hérétique, mais il serait Pape pour l’Église tant que celle-ci ne nous dirait pas le contraire.
Quelle sorte de brouet ridicule est-ce donc là ? Peut-on sérieusement considérer une telle situation comme servant au mieux les intérêts de l’Église ? Sommes-nous censés croire que des hommes tels que Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI ont servi à Dieu d’instruments essentiels pour « sauvegarder » la mission et l’existence de l’Église catholique, quand nous savons que ces monstres ont – plus que quiconque d’autre – joué un rôle essentiel en faisant exactement le contraire en corrompant, blessant, avilissant, minimisant, relativisant et détruisant le Corps Mystique ? Au mépris de tout cela, Salza en vient d’une certaine manière à conclure que comme le Canon 2223 par. 4 (il se trompe du reste dans sa référence) dit que pour que quelqu’un fasse automatiquement l’objet d’une peine particulière, il faut qu’une sentence déclaratoire ait été rendue si le bien commun l’exige, étant donné que le bien commun de l’Église l’exige (c’est ce qu’il pense, sans évidemment fournir de preuve convaincante à ce sujet), il faut qu’« une sentence déclaratoire proclame l’hérésie pré-électorale d’un cardinal » (p. 3).
Malheureusement pour Salza, le Canon 2223 par. 4 ne dit rien de la validité des élections papales ou autres, mais parle du moment où un supérieur est obligé de déclarer que l’intéressé a fait l’objet d’une peine automatique :
« Déclarer une peine “latae sententiae” est généralement laissé à la prudence du supérieur ; mais une sentence déclaratoire s’impose soit à la demande de l’intéressé, soit si le bien commun l’exige. »
Que la peine automatique soit déclarée ou non, cela n’a aucune incidence sur le fait que l’intéressé l’a subie, de sorte que là encore, l’argumentation de Salza s’effondre, car à supposer même que son interprétation de ce canon soit fondée, cela signifierait une seule chose : que le supérieur en question (qui serait-il ?) aurait l’obligation de déclarer que celui qui prétend être Pape s’est automatiquement excommunié pour hérésie ; et cela ne changerait rien au statut de l’hérétique en question.
(Ne perdons pas de vue – soit dit en passant – que Salza a concocté ce brouet canonico-théologique entièrement de sa propre autorité, puisqu’il ne cite à l’appui de ses dires ni canonistes, ni théologiens, ni toute autre source secondaire ; il va droit aux sources primaires du droit et de la doctrine de l’Église et en assure lui-même l’interprétation. N’a-t-il donc pu trouver aucune autorité ecclésiastique qui puisse se déclarer d’accord avec son interprétation ?)
Mais la théorie de M. Salza pose un problème de plus : malgré les efforts considérables qu’il a fournis pour aller chercher des arguments dans le Droit canonique, il semble être passé à côté du Canon 2227, qui souligne expressément que le Pontife romain peut imposer ou déclarer des peines à l’encontre des cardinaux, et que les cardinaux sont exclus du droit pénal. Il y a là une pierre dans son jardin, car il vient de prétendre que le Canon 2223 par. 4 requiert la publication d’une sentence déclaratoire contre un cardinal hérétique que l’on croit Pape. En effet, si un tel cardinal – ou le ou les cardinaux qui le « jugent » – sont exclus du droit pénal, ce canon n’est nullement applicable. Étant donné, en outre, que seul le Pape peut juger un cardinal et que l’hérétique en question a été pris pour le Pape, il n’existe manifestement aucun Pape légitime qui puisse le juger. Si Salza fait allusion à un futur Pape authentique, il ne peut prétendre que cela soit nécessaire au bien de l’Église a motif que nous devons « savoir si nous avons un vrai Pape », car à ce moment-là, nous aurions effectivement un Pape authentique, et tout ce que celui-ci aurait à faire, ce serait de nettoyer les écuries d’Augias laissées par son prédécesseur invalide.
Il apparaît clairement, désormais, que John Salza s’est emmêlé par mégarde dans une véritable « jungle » d’assertions, d’élucidations, de clarifications et de contradictions dont il ne parvient plus à s’extraire. Cela ressort du paragraphe suivant de son essai, où il écrit ceci :
« Faut-il préciser, de plus, que la sentence déclaratoire requise doit être rendue par l’autorité ecclésiastique (Mt. 18 :17 ; Tite 3 :10-11). Rien dans le droit positif ou la Loi divine ne permet évidemment à un catholique isolé ou à un groupe de catholiques de prononcer des sentences déclaratoires et des censures ecclésiastiques, de même qu’en l’absence de ces jugements ecclésiastiques, la loi ne permet pas aux catholiques de résister licitement à un Pape dûment élu [Qu’il aille donc dire ça à The Remnant ! (note de Gregorius)]. Si l’on transpose cela dans le présent contexte, comme ce serait le Pape qui ferait l’objet d’une enquête, toute sentence déclaratoire devrait procéder du Collège des Cardinaux, qui est la deuxième plus haute autorité de l’Église. Rappelons-nous, en outre, qu’une sentence déclaratoire d’hérésie prononcée contre un antipape se bornerait à affirmer que celui-ci s’est excommunié de lui-même (loi ecclésiastique établissant que l’auto-exclusion s’est produite aux termes de la Loi divine) et qu’un Pape valide n’a d’autre juge sur terre que Dieu. »
(Salza, « Erreurs », pp. 3 et 4)
Il est ahurissant de voir Salza nier ainsi une thèse qu’il vient de soutenir dans le même paragraphe ! Bien qu’il affirme – on le notera – qu’un Pape n’a d’autre juge sur terre que Dieu, il laisse entendre que, d’une certaine manière, les cardinaux disposent de l’autorité nécessaire pour faire du « Pape élu » (!) « l’objet d’une enquête » visant à établir s’il occupe légitimement ou non le Siège de Pierre, enquête au terme de laquelle ils jugeraient s’il est Pape ou non ! Mais s’il est effectivement le Pape, alors aucun cardinal ne peut le juger, et s’il n’est pas le Pape, selon la thèse de Salza, les cardinaux ne le sauront qu’après l’avoir soumis à une enquête et empiété ainsi sur son autorité. Est-ce là ce que Salza offre à ses lecteurs comme étant une apologétique de premier ordre contre le sédévacantisme ? De quelle meilleure publicité en faveur du sédévacantisme aurions-nous pu rêver qu’un méli-mélo aussi indigeste de concepts pseudo-canoniques ?
Que ferait Salza si le Pape-soupçonné-de-ne-pas-être-le-Pape disait à ses cardinaux : « Comment osez-vous entreprendre de me soumettre à un procès ? Je vous décoiffe illico de vos chapeaux de cardinal, et je m’en vais nommer d’autres évêques à votre place ! » ? Que ferait-il donc dans un tel cas ?… Par ailleurs, et pour commencer, le fait que ces cardinaux « enquêteurs » sont ceux-là mêmes qui ont élu le Pape douteux ne vient pas précisément à l’appui de la thèse de Salza.
On voit combien la position à laquelle adhère M. Salza est entièrement erronée et incompatible avec les enseignements de l’Église, le Droit canonique, voire le simple bon sens. Loin de prouver l’inanité de la thèse sédévacantiste, elle met au contraire celle-ci en valeur, car à supposer un moment qu’elle soit valable, il s’ensuivrait aussitôt que dans la mesure, justement, où aucun cardinal n’est supérieur au Pape, le seul moyen qu’auraient les cardinaux d’émettre « une sentence déclaratoire d’hérésie […] contre un antipape » (p. 4) – ce qui, d’après le Droit canonique, ne peut être fait que par un supérieur (Canon 223 par. 4) – serait d’établir à titre privé, avant même qu’un quelconque procès canonique ou jugement légal soit seulement possible, que l’homme qui prétend être Pape est en réalité un imposteur ; or, c’est exactement là ce que font les sédévacantistes.
Avant de conclure la première partie de cette réplique aux erreurs de John Salza, il nous faut encore réfuter l’abominable assertion de l’auteur – formulée non sans légèreté – selon laquelle saint Pierre aurait commis le crime d’apostasie en reniant Notre Seigneur à trois reprises le Vendredi Saint. Salza écrit ceci :
« Saint Pierre a commis un acte public d’apostasie en reniant Notre Seigneur avant d’accéder validement à la fonction papale. Le droit ecclésiastique impose donc à l’Église de présumer que le Pape élu s’est réconcilié avec le Christ (ce qu’a fait saint Pierre), donc que son hérésie, son apostasie ou son schisme d’avant l’élection n’invalide pas automatiquement cette dernière (que cette infraction se poursuive ou non après l’élection est une question à part soumise aux procédures de droit ecclésiastique requérant l’ouverture d’une enquête spéciale et la publication d’une sentence déclaratoire). »
(Salza, « Erreurs », p. 4)
De quelles sources, de quelles autorités Salza se réclame-t-il pour soutenir que saint Pierre a commis une « apostasie » publique le Vendredi Saint ? Aucune, bien entendu. Son allégation est aussi infondée qu’outrageante. On sait que le crime d’« apostasie » se définit comme le rejet complet de la Foi (et non de quelques dogmes seulement) par un baptisé. Salza n’a-t-il donc trouvé aucune autorité catholique ayant identifié le péché de Pierre à celui d’apostasie ? Il apparaît que non, ce qui n’a rien de surprenant, puisque saint Pierre n’a évidemment pas commis d’apostasie.
Le grand docteur de l’Église qu’était saint François de Sales enseigne à cet égard ce qui suit :
« Le reniement fait par saint Pierre le jour de la Passion ne doit pas vous troubler ici, car saint Pierre n’a pas perdu la foi, mais il a seulement péché quant à la confession de la foi. La peur lui a fait désavouer ce qu’il croyait. Il croyait bien, mais il a mal parlé. »
(Saint François de Sales, La Controverse Catholique)
Engagé comme il l’est dans l’apologétique contre le protestantisme, John Salza connaît certainement les sermons de saint François de Sales contre le protestantisme, d’où est tirée cette citation. Le saint précise bien – on le notera – que saint Pierre n’a pas perdu la Foi, contrairement à ce que Salza essaie de faire croire à ses lecteurs (car l’abandon de la Foi est l’essence de l’apostasie), mais qu’il s’est borné à mentir sur ses convictions. Et il l’a fait sous l’effet d’une grande peur, ainsi que les Écritures nous le révèlent et que cela ressort des circonstances du moment.
Le Père Réginald Garrigou-Lagrange, ce grand dominicain qui fut sans doute le plus éminent philosophe et théologien thomiste du vingtième siècle, connu pour son impeccable orthodoxie et sa vie aux vertus héroïques, fait écho à saint François quand il enseigne ceci :
« Le péché de Pierre – un triple reniement du Christ au cours de Sa Passion – fut un péché contre la confession extérieure de la foi : “Je ne connais pas le Christ”. Ce ne fut pas une perte de la foi. L’Apôtre aurait perdu la foi et péché mortellement contre l’acte intérieur obligatoire de la Foi s’il avait admis ce reniement dans son cœur ou s’il avait délibérément douté d’une quelconque vérité révélée au sujet de laquelle il avait reçu une instruction suffisante. Ses imprécations et jurements extérieurs, émis sous le coup de la peur, ne sont nullement une indication que tel eût été le cas. »
(Père Réginald Garrigou-Lagrange, O.P., Les Vertus Théologiques, Vol. 1 : Sur la Foi ; C’est nous qui soulignons.)
Là encore, on voit que le péché de saint Pierre fut non pas la perte de la foi (par hérésie ou apostasie), contrairement à ce que Salza affirme avec tant d’audace et de légèreté, mais un péché « contre la confession extérieure de la foi ». Il va de soi que c’est une grande peur qui l’a motivé à pécher ainsi, et son remords immédiat apporte une autre confirmation qu’il s’est borné à mentir au for externe sur ce qu’il croyait au for interne.
Il est clair que notre avocat du Wisconsin n’a tout simplement fait aucune recherche à ce sujet. Bien qu’il note à juste titre que le reniement de saint Pierre a eu lieu avant que l’intéressé ne soit investi de l’autorité papale, Salza se rue sur la conclusion vraiment risible selon laquelle cela démontre que « le droit ecclésiastique impose donc à l’Église de présumer que le Pape élu s’est réconcilié avec le Christ (ce qu’a fait saint Pierre), donc que son hérésie, son apostasie ou son schisme d’avant l’élection n’invalide pas automatiquement cette dernière. » Bien entendu, l’auteur s’abstient une fois de plus de fournir quelque preuve que ce soit à l’appui de cette véritable ânerie (on voudra bien excuser le mot), qu’il profère du haut de sa seule autorité, du reste inexistante !
En d’autres termes, Salza soutient que lorsqu’un apostat public est « élu Pape », il nous faut présumer que ce n’est plus véritablement un apostat, mais qu’il s’est réconcilié avec le Christ et l’Église et professe dès lors la vraie Foi, indépendamment de toute preuve du contraire, semble-t-il. (On se demande ce qu’il faudrait faire, selon lui, quand l’« apostat, mais Pape élu » continue à se montrer apostat après son « élection ».) Et cette idée qu’il a du reniement de Notre Seigneur par saint Pierre !… Dans son argumentation, il ignore totalement deux faits de la plus haute importance : 1. Dieu nous a révélé, par le témoignage des Écritures, que saint Pierre n’a pas perdu la Foi, mais qu’il s’est borné à mentir sur elle, ce qui nous apprend qu’il n’a pas commis d’apostasie – or, tout cela n’a rien à voir avec une quelconque présomption ; 2. saint Pierre a pleuré amèrement aussitôt après son péché, et il a persévéré ensuite, jusqu’à sa mort, dans un remords public, visible de tous.
Pour trouver la moindre valeur à l’argument de Salza, il faudrait admettre que les faux papes d’après Pie XII ont menti sur ce qu’ils croyaient vraiment de leurs enseignements, actions, lois et disciplines conciliaires ; or, cela introduirait le concept d’« Église menteuse », autre absurdité dont Salza devrait alors se dépêtrer. Notre avocat du Wisconsin cherche-t-il à nous faire gober que les « Papes » de Jean XXIII à Benoît XVI ont eu réellement la Foi catholique, mais que confrontés à un monde incroyant, qu’ils ont d’ailleurs eux-mêmes contribué à maintenir dans l’incroyance, ils ont succombé sous l’effet de leur faiblesse humaine et n’ont cessé d’enseigner l’œcuménisme et la liberté religieuse, ainsi qu’une foule d’autres mauvaises doctrines et idées, en contradiction avec ce qu’ils croyaient vraiment et voulaient sincèrement qu’on enseigne, le tout sans faire montre du moindre remords ?
Désolé d’être brutal, mais à un moment donné, on est amené à se demander simplement s’il peut exister un raisonnement plus stupide.
Même le cardinal James Gibbons, célèbre pour ses opinions américanistes condamnées par le Pape Léon XIII dans la lettre apostolique Testem Benevolentiae(1899), a réussi à exposer une simple et évidente vérité sur la papauté quand il a écrit :
« Le Pape, en tant que berger, doit servir au troupeau non le poison de l’erreur, mais la bonne nourriture de la saine doctrine, faute de quoi il serait non pas un berger, mais un laquais, qui administre de la nourriture pernicieuse à son troupeau. »
(Cardinal James Gibbons, The Faith of Our Fathers, 11ème édition [Rockford, IL: TAN Books and Publishers, 1980], p. 104.)
À qui Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul 1er, Jean-Paul II et Benoît XVI font-ils penser le plus ? À un vrai berger ou à un laquais ? Ont-ils parlé avec la voix de saint Pierre ou la voix de Judas ?… « La doctrine immaculée a toujours été préservée et prêchée par le Siège romain », a écrit le Cardinal Gibbons en écho au premier Concile du Vatican (ibid., italiques supprimées). Or, tel n’est pas le cas de l’Église conciliaire, qui ne saurait, par conséquent, être la véritable Église de Notre Seigneur et que nous devons donc fuir.
En résumé, l’essai de John Salza intitulé « Les erreurs du sédévacantisme et le droit ecclésiastique » n’est rien d’autre qu’un morceau de sophisterie pseudo-théologique et pseudo-canonique composé par un avocat qui se croit compétent pour traiter de droit canonique, mais qui révèle au contraire n’avoir aucune idée de ce dont il parle. Il apparaît, en fait, que la conclusion préconçue de Salza (« Le sédévacantisme est faux ») lui a plus ou moins dicté ses prémisses, et non l’inverse, d’où les erreurs diverses qui émaillent son article. En tant que serviteurs de la vérité, nous ne saurions évidemment commencer par émettre une conclusion, puis essayer de trouver les prémisses y conduisant, car cela reviendrait à mettre la charrue avant les bœufs. Mais n’est-ce pas là ce que font justement les avocats ?
Malheureusement, quelles qu’aient été ses intentions, Salza exprime une position qui ne peut qu’apporter une aide considérable aux ennemis de notre mère la Sainte Église.
Cela met fin à la première partie de notre réplique. La seconde partie, publiée ci-après, consiste en une réfutation d’un autre article de Salza intitulé « Le sédévacantisme et le péché de présomption » (Sedevacantism and the Sin of Presumption).
Gregorius
VIII-XXVIII-MMXI
Remonter au début de la Partie 1
[1] NdT : Novus Ordo Watch est un site internet sédévacantiste de langue anglaise : http://www.novusordowatch.org/ Il produit régulièrement de bonnes analyses sur divers sujets concernant la crise actuelle.
[2] NdT : The Remnant est un journal catholique américain créé en 1967 et dont les idées sont très proches de celles de la FSSPX. Il est dirigé par Michael Matt.
[3] NdT : The Fatima Crusader est un journal fondé par l’abbé Gruner, ordonné ( !!) dans le nouveau rite conciliaire.
[4] NdT : Catholic Family News est un mensuel américain dirigé par John Vennari dans la mouvance de la FSSPX.
[5] NdT : Salza fait ici une citation tronquée et inexacte de la bulle de Paul IV Cum ex Apostolatus, dont le passage correspondant est ainsi rédigé : « … qu'un Souverain Pontife lui-même, avant sa promotion et élévation au Cardinalat ou au Souverain Pontificat, déviant de la foi Catholique, est tombé en quelque hérésie, … ».
[6] NdE : Voir note 3.
[7] NdE : Le père Paul Kramer est l’auteur du livre « The Devil’s Final Battle » consacré à Fatima. Un chapitre est consacré entièrement au Cardinal Ratzinger et à Fatima : http://www.devilsfinalbattle.com/ch11.htm On peut y lire : « Le Cardinal Ratzinger, comme les pharisiens, est rempli de subtilités et de citations de l’Ecriture qui, arrangées avec ruse, obscurcissent la simplicité de la vérité de Dieu. Et comme les Pharisiens, le Cardinal présente son observation avec une grande démonstration de respect pour la messagère et le message ; mais derrière cette apparence de respect se trouve un fin mépris masqué. »
[8] NdE : Voir note 2.
[9] Ferrara est un collaborateur de Matt à The Renmant. En 2005, Ferrara avait publié une longue étude contre le sédévacantisme. L’abbé Cekada avait alors réfuté cette étude : http://www.traditionalmass.org/articles/article.php?catname=10&id=70
[10] NdT (d’après Wikipédia) : La chutzpah est une forme d'audace, en bien ou en mal. Ce mot hébreu qui signifie « insolence », « audace » et « impertinence ». L'exemple classique est celui d'un homme qui reconnu coupable du meurtre de ses parents, réclame l'indulgence du jury car il est maintenant orphelin.