Table des matières du livre : Ils l'ont découronné
Chapitre 7 - Jésus-Christ Roi des républiques ?
"La majorité ne fait pas la vérité, c’est la vérité
qui doit faire la majorité."
J’ai encore beaucoup à vous dire sur le libéralisme. Mais je voudrais que vous saisissiez bien que ce ne sont pas des opinions personnelles, que je vous propose. Et c’est pourquoi je tiens à vous faire part de documents des papes et non de sentiments personnels, qu’on attribuerait facilement à une formation première, reçue au Séminaire français de Rome. Le Père Le Floch, qui en était alors le supérieur eut en effet une réputation de traditionaliste de façon très marquée. On dira donc de moi : " Il a été influencé par ce qu’on lui a dit dans son séminaire ! " — Eh bien, cette influence je ne la nie pas ; bien plus, je remercie tous les jours le bon Dieu de m’avoir donné comme supérieur et comme maître le Père Le Floch. On l’accusa alors de faire de la politique ; et Dieu sait si ce n’est pas un crime bien au contraire, de faire. la politique de Jésus-Christ et de susciter des hommes politiques qui utilisent tous les moyens légitimes, même légaux, pour chasser de la cité les ennemis de Notre Seigneur Jésus-Christ ![1] Mais de fait le Père Le Floch ne s’était jamais mêlé de politique, même au plus fort du complot monté contre l’Action Française et de la crise qui s’ensuivit au moment où j’étais séminariste.[2]
En revanche, ce dont le Père Le Floch nous a constamment parlé, c’était du danger du modernisme, du sillonisme, du libéralisme. Et c’est en se basant sur les Encycliques des papes que le Père Le Floch parvint à ancrer en nous une conviction ferme, solidement étayée, fondée dans la doctrine immuable de l’Église, sur le danger de ces erreurs. C’est cette même conviction que je désire vous communiquer, comme un flambeau qu’on transmet à sa postérité, comme une lumière qui vous préservera de ces erreurs régnantes, plus que jamais, in ipsis Ecclesiae venis et visceribus, dans les veines mêmes et les entrailles de l’Église, comme disait saint Pie X.
Vous comprendrez par conséquent que ma pensée politique personnelle sur le régime qui convient le mieux à la France, par exemple, importe peu. Du reste les faits parlent d’eux mêmes : ce que la monarchie française n’avait pas réussi à faire, la démocratie l’a réalisé : cinq révolutions sanglantes (1789, 1830, 1848, 1870, 1945), quatre invasions étrangères (1815, 1870, 1914, 1940), deux spoliations de l’Église, bannissements des ordres religieux, suppressions des écoles catholiques, et laïcisations des institutions (1789 et 1901), etc... Pourtant, diront certains, le pape Léon XIII demanda le "ralliement" des catholiques français au régime républicain[3] (ce qui, entre parenthèses, provoqua une catastrophe politique et religieuse). D’autres critiquent du reste cet acte de Léon XIII en le qualifiant, ainsi que son auteur, de libéral. - Je ne crois pas que Léon XIII fût un libéral, ni, encore moins, un démocrate. Non : il crut simplement susciter une bonne combinaison politique pour le bien de la religion en France ; mais il est clair qu’il oubliait l’origine et la constitution irrémédiablement libérales, maçonniques et anti-catholiques de la démocratie française.
L’idéologie démocratique
Issue du postulat libéral de l’individu-roi, l’idéologie démocratique se construit ensuite logiquement : les individus passent à l’état social par un pacte conventionnel : le contrat social, qui est, dit Rousseau, une " aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté " . De là viennent :
— la nécessaire souveraineté populaire : le peuple est nécessairement souverain, il ne tient son pouvoir que de lui-même, et il le garde même après qu’il ait élu ses gouvernants.
— l’illégitimité de tout régime qui n’a pas pour base la souveraineté populaire ou dont les gouvernants assurent recevoir leur pouvoir de Dieu.
De là par conséquent, en pratique
— la lutte pour l’établissement universel de la démocratie.
— la " croisade des démocraties " contre tout régime qui fait référence à l’autorité divine, qualifié alors de régime "sacral" , "absolutiste" . À cet égard, le traité de Versailles de 1919, qui supprimait les dernières monarchies vraiment chrétiennes, fut une victoire libérale, précisément maçonnique[4].
— le règne politique des majorités, qui sont censées exprimer la sacro-sainte et infaillible volonté générale.
J’aime à répéter à l’occasion, face à ce démocratisme qui pénètre maintenant l’Église par la collégialité, j’aime à dire que la majorité ne fait pas la vérité : et hors de la vérité et de la vraie justice envers Dieu et le prochain, que peut-on construire de solide ?
Condamnation de l’idéologie démocratique par les papes
Les papes n’ont cessé de condamner cette idéologie démocratique. Léon XIII l’a fait ex professo dans son encyclique Diuturnum dont je vous ai déjà parlé :
" Bon nombre de nos contemporains, marchant sur les traces de ceux qui, au siècle dernier, se sont décerné le titre de philosophes, prétendent que tout pouvoir vient du peuple ; que, par suite, l’autorité n’appartient pas en propre à ceux qui l’exercent, mais à titre de mandat populaire, et sous cette réserve que la volonté du peuple peut toujours retirer à ses mandataires la puissance qu’elle leur a déléguée.
C’est en quoi les catholiques se séparent de ces nouveaux maîtres ; ils vont chercher en Dieu le droit de commander et le font dériver de là comme de sa source naturelle et de son nécessaire principe.
Toutefois, il importe de remarquer ici que, s’il s’agit de désigner ceux qui doivent gouverner la chose publique, cette désignation pourra dans certains cas être laissée au choix et aux préférences du grand nombre, sans que la doctrine catholique y fasse le moindre obstacle. Ce choix, en effet, détermine la personne du souverain, il ne confère pas les droits de la souveraineté ; ce n’est pas l’autorité que l’on constitue, on décide par qui elle devra être exercée " [5].
Donc, toute autorité vient de Dieu, même en démocratie !
Toute autorité vient de Dieu. Cette vérité est une vérité révélée et Léon XIII s’applique à l’établir solidement par l’Écriture Sainte, la tradition des Pères, et enfin par la raison : une autorité émanée du peuple seul n’aurait pas la force d’obliger en conscience sous peine de péché[6].
" Il n’est pas un homme qui ait en soi ou de soi ce qu’il faut pour enchaîner par un lien de conscience le libre vouloir de ses semblables, Dieu seul, en tant que créateur et législateur universel, possède une telle puissance ; ceux qui l’exercent ont besoin de la recevoir de lui et de l’exercer en son nom " [7].
Enfin Léon XIII s’attache à montrer la fausseté du contrat social de Rousseau, qui est la base de l’idéologie démocratique contemporaine.
L’Église ne condamne pas le régime démocratique
Ce que je veux vous montrer maintenant, c’est que toute démocratie n’est pas libérale. Il y a l’idéologie démocratique, et il y a le régime démocratique ; si l’Église condamne l’idéologie, elle ne condamne pas le régime, c’est-à-dire la participation du peuple au pouvoir.
Déjà saint Thomas justifie la légitimité du régime démocratique :
" Que tous aient une certaine part au gouvernement, par là est en effet conservée la paix du peuple, et tous aiment une telle organisation et veillent à la conserver, comme dit Aristote au livre II de sa Politique " [8].
Sans préférer la démocratie, le Docteur commun estime que concrètement le meilleur régime politique est une monarchie dans laquelle tous les citoyens ont une certaine part au pouvoir, par exemple en élisant ceux qui gouvernent sous le monarque : c’est, dit saint Thomas, " un régime qui bien allie la monarchie, l’aristocratie et la démocratie " [9].
La monarchie française d’Ancien Régime, comme beaucoup d’autres, était plus ou moins de ce type quoi qu’en disent les libéraux : il existait alors, entre le monarque et la multitude des sujets, tout un ordre et une hiérarchie de multiples corps intermédiaires, qui faisaient valoir en haut lieu leurs avis compétents.
L’Église catholique, quant à elle, ne marque pas de préférence pour tel ou tel régime ; elle admet que les peuples choisissent la forme de gouvernement la plus adaptée à leur génie propre et aux circonstances
" Rien n’empêche que l’Église n’approuve le gouvernement d’un seul ou celui de plusieurs, pourvu que le gouvernement soit juste et ordonné au bien commun. C’est pourquoi, si la justice est sauve, il n’est point interdit aux peuples de se donner telle ou telle forme politique qui s’adaptera mieux à leur génie propre ou à leurs traditions et à leurs coutumes " [10].
Qu’est-ce qu’une démocratie non libérale ?
J’avoue qu’une démocratie non libérale est une espèce rare, aujourd’hui disparue, mais elle n’est quand même pas tout à fait une chimère : comme le prouve la république du Christ-Roi, celle de l’Équateur de Garcia Moreno au siècle dernier.
Voici les traits caractéristiques d’une démocratie non libérale
1. Principe premier. Le principe de la souveraineté populaire d’abord : il se limite au régime démocratique, et respecte la légitimité de la monarchie. Ensuite, il est radicalement différent de celui de la démocratie rousseauiste : le pouvoir réside dans le peuple, soit ; mais ni originellement ni définitivement : c’est donc de Dieu que le pouvoir vient au peuple ; de Dieu auteur de la nature sociale de l’homme, et non des individus-rois. Et une fois que des gouvernants sont élus par le peuple, ce dernier ne conserve pas l’exercice de la souveraineté[11].
— Première conséquence : ce n’est pas une multitude amorphe d’individus qui gouverne, mais le peuple en corps constitués ses chefs de familles (qui pourront légiférer directement dans de très petits États, comme celui d’Appenzell en Suisse), ses paysans et commerçants, industriels et ouvriers, grands et petits propriétaires, militaires et magistrats, religieux, prêtres et évêques, c’est, dit Mgr de Ségur, " la nation avec toutes ses forces vives, constituée en une représentation sérieuse et capable par ses vrais représentants d’exprimer ses vœux, d’exercer librement ses droits " [12]. Pie XII à son tour distingue bien le peuple et la masse :
" Peuple et multitude amorphe, ou, comme on a coutume de dire, " masse " , sont deux concepts différents. Le peuple vit et se meut de sa vie propre ; la masse est en elle-même inerte, et elle ne peut être mue que de l’extérieur. Le peuple vit de la plénitude de la vie des hommes qui le composent, dont chacun, à la place et de la manière qui lui est propre, est une personne consciente de ses propres responsabilités et de ses propres convictions. La masse, au contraire, attend l’impulsion du dehors, jouet facile entre les mains de quiconque en exploite les instincts et les impressions, prompte à suivre tour à tour, aujourd’hui ce drapeau et demain cet autre " [13].
— Deuxième conséquence : des gouvernants élus, même si on les appelle, comme le fait saint Thomas, " vicaires de la multitude " , le sont seulement en ce sens qu’ils font pour elle ce qu’elle ne peut pas faire elle-même, à savoir gouverner. Mais le pouvoir leur vient de Dieu " de qui toute paternité au ciel et sur la terre tire son nom " (Eph. 3. 15). Les gouvernants sont donc responsables de leurs actes d’abord devant Dieu dont ils sont les ministres, et ensuite seulement devant le peuple, pour le bien commun duquel ils gouvernent.
2. Deuxième principe : Les droits de Dieu (et ceux de son Église, dans une nation catholique) sont posés comme le fondement de la constitution. Le décalogue est donc l’inspirateur de toute la législation.
— Première conséquence : la "volonté générale" est nulle si elle va contre les droits de Dieu. La majorité ne "fait" pas la vérité, elle doit se maintenir dans la vérité, sous peine d’une perversion de la démocratie. Pie XII souligne avec raison le danger, inhérent au régime démocratique, et contre lequel la constitution doit réagir : le danger de dépersonnalisation, de massification et de manipulation de la multitude par des groupes de pression et des majorités artificielles.
— Seconde conséquence : la démocratie n’est pas laïque, mais ouvertement chrétienne et catholique. Elle se conforme à la doctrine sociale de l’Église concernant la propriété privée, le principe de subsidiarité, et l’éducation laissée au soin de l’Église et des parents, etc...
Je me résume : la démocratie, non moins que tout autre régime, doit réaliser le règne social de Notre Seigneur Jésus-Christ. La démocratie doit quand même avoir un Roi : Jésus-Christ.